Prendre soin de la Terre

Au Refuge, notre pratique est soutenue par l’engagement à prendre soin de la Terre et des tous les êtres qui y vivent. Nous nous considérons comme des bouddhistes engagés. Cet engagement peut prendre différentes formes, sociales, civiques notamment. Le texte de présentation qui suit est extrait de la préface du livre d’Éric Rommeluère, Le bouddhisme engagé, publié aux Éditions du Seuil (2013, p. 9-12). Il introduit à ces dimensions, à la prise de conscience et au changement nécessaire dans le contexte de l’effondrement climatique.

Notre vie est un immense défi à comprendre ce que nous sommes, des êtres humains à la fois fragiles et puissants, tantôt joyeux et tantôt désespérés ; un immense défi à entendre nos frères qui un jour s’aiment et l’autre s’entretuent ; un immense défi à apprécier un monde merveilleux et pourtant si sauvage et violent.

D’autres défis surgissent en ces temps incertains. Aujourd’hui, 1,1 milliard de personnes n’ont pas d’accès à l’eau potable. Chaque jour, vingt-cinq mille personnes meurent de faim. En 2050, la population mondiale dépassera neuf milliards d’individus alors que nous sommes aujourd’hui un peu plus de sept milliards. Au même horizon 2050, deux cent cinquante millions de personnes auront migré du fait des incidences directes ou indirectes du réchauffement climatique. En 2100, la moitié des espèces animales auront vraisemblablement disparu de la surface du globe. Nous connaissons tous peu ou prou ces chiffres démesurés et tant d’autres encore. Journaux et magazines relaient les chiffres et les superlatifs dans une inflation dont on ne sait distinguer si elle relève d’un heureux réveil des consciences ou d’un nouvel effet de dramaturgie dans le spectacle que la société se donne à elle-même. Nous ne savons plus que penser, que dire, que faire dans un monde où l’agir paraît de plus en plus difficile, saturés que nous sommes de complexité. L’homme de ce nouveau siècle est confronté à une nouvelle question, non plus penser l’individu et le collectif, la grande question qui agita l’Occident moderne du XVIIIe au XXe siècle, mais bien l’articulation du simple et du complexe. Nous sommes, chacun, l’un de ces sept milliards d’individus mis au défi par la complexification croissante du monde et l’ampleur des tâches à venir.

Notre champ d’action paraît pourtant bien limité. Finirons-nous par agir ou par renoncer ? Tel est le dilemme. Mais nous n’avons pas l’âme tourmentée de héros grecs antiques. Nous sommes des êtres ordinaires, de simples hommes et femmes de bonne volonté. Alors, dans l’ordinaire des jours, nous faisons comme si, ou tout au moins nous faisons ce que nous pouvons ou ce que nous croyons pouvoir faire à notre mesure. Notre véritable puissance s’exprime-t-elle là encore ? Certes, nous nous sentons concernés, par l’écologie, par un monde meilleur et solidaire, mais n’est-ce pas un peu trop abstrait ? Aujourd’hui même, nos pensées, nos gestes ne pourraient-ils être autrement plus libres, plus chantants et plus rayonnants ? Ne pourrions-nous imaginer, non pas de nous adapter aux changements actuels, mais d’être individuellement et collectivement le changement ? Ne pourrions-nous inventer de nouveaux exercices pratiques pour retrouver du champ et de la puissance ?

Nous abordons toutes ces questions dans une perspective bouddhiste. Le bouddhisme n’est pas une abstraction, mais une exploration de l’humain. Dans leurs enseignements, les Éveillés (les bouddhas) invitent les êtres à ne plus persévérer dans la semi-conscience qui sait sans vouloir savoir. Sans relâche, ils les convient à prendre congé des compromis et des faux-semblants, à ne plus différer leur écoute et leur clairvoyance. Comment penser leurs instructions dans le contexte des multiples crises qui bouleversent désormais notre quotidien ? Pourraient-elles offrir des clés de compréhension ainsi que des outils et des méthodes pour y répondre ? Aujourd’hui même, la question peut encore faire débat. Pour quelques-uns, une minorité, la réponse ne peut être que négative, la vocation du bouddhisme serait d’ordre spirituel, il ne peut (variante : il ne doit) offrir de réponse qu’aux seules crises personnelles. Pour les autres au contraire, l’invitation des Éveillés à transfigurer les émotions, les sentiments et les perceptions nous engage nécessairement à prendre soin du monde. Le Bouddha Śākyamuni appelait cette Terre Sahā, ce qui signifie en sanskrit, l’ancienne langue sacrée de l’Inde, « le monde d’Endurance ». Il contemplait la foule des êtres confrontés aux difficultés, aux souffrances, à la maladie et à la mort qu’ils devaient tour à tour endurer. Pour eux, il n’aspirait qu’à transformer ce monde Sahā en une Terre rayonnante de beauté.

Depuis plusieurs dizaines d’années, un mouvement informel se trouve à la pointe de cette vision. Des bouddhistes de tous horizons se reconnaissent dans un vaste mouvement connu sous le nom de bouddhisme engagé. Cette dénomination résonne comme une profession de foi : l’exercice de la voie du Bouddha, loin de se limiter à une pratique personnelle ou intimiste, réclame d’investir de nouveaux horizons afin d’apporter des réponses concrètes aux défis contemporains. Quelques figures internationales se sont détachées par leur stature et leur destin personnels, qu’il s’agisse du maître vietnamien Thich Nhât Hânh ou du XIVe dalaï-lama. Les enseignements multiséculaires dont ces moines sont les héritiers ne forment pourtant pas une doctrine sociale, économique ou politique. Ils n’ont d’ailleurs pas vocation à régir des institutions sociales ou politiques. Mais aujourd’hui, prendre soin du monde exige des explorations inédites. Être humain sur la Terre, autrement dit être pleinement responsable de notre humanité au sein de la biosphère, ne peut plus ignorer ceux que nous ne verrons jamais, ceux qui vivent au loin sous d’autres cieux, et même ceux qui ne sont pas encore nés. Tel est le défi que relèvent ces bouddhistes engagés.

Pour une écologie salutaire : Un point de vue bouddhiste sur la crise écologiqueUne conférence de David Loy donnée en juin 2011 à l’Université Bouddhique Européenne (aujourd’hui Institut d’Études Bouddhiques).  Durée : 2 heures 38 minutes.

Les résidents du Refuge suivent cinq engagements :
1) Ils s’efforcent de soulager les souffrances de tous les êtres qui endurent la peine ;
2) ils s’efforcent d’élargir leur compréhension des souffrances et d’explorer les
peurs, les conditions et les obstacles aux changements ;
3) ils s’efforcent de cultiver les six excellences (skt. pāramitā), les quatre méthodes intégratives (skt. saṃgrahavastu) et les innombrables pratiques des bouddhas et des bodhisattvas ;
4) ils s’efforcent de soutenir tous ceux qu’ils rencontreront sans jugement ni préjugé
tout autant que d’être soutenus par eux ;
5) ils s’efforcent de dialoguer, d’apprendre et d’agir avec tous ceux qui œuvrent à la
transformation dans une perspective de non-violence et de bienveillance.

dans les ruines du tsunami

Le moine bouddhiste japonais Sokan Obara priant dans les décombres du tsunami de 2011.

Et pour aller plus loin