Les célébrations des 19 et 20 juillet à Tōkei’in
Chaque année, le temple de Tōkei’in célèbre l’anniversaire de la mort de son troisième abbé, Taigan Sōbai, auquel tous ses temples affiliés font remonter leur lignée. Les festivités sont fameuses et connues dans la région sous le nom de la commémoration du fondateur (kaisanki). Taigan Sōbai mourut le 4 du sixième mois de la deuxième année de l’ère Bunki (1502) et depuis lors, les moines commémorent tous les ans cet anniversaire. Les célébrations devinrent vite populaires lorsqu’elles furent ouvertes au public, un rituel propitiatoire (kitō) étant offert pour l’occasion.
Il n’est pas habituel de célébrer le troisième abbé mais dans l’histoire de Tōkei’in, Sōbai est le véritable fondateur du temple, Jochū Tengin n’est le premier abbé qu’à titre honorifique et posthume et Sekisō Enchū, le second abbé confia immédiatement à Sōbai, le soin d’édifier le temple une fois que le domaine lui fut octroyé.
Une coutume locale
Lors de cette fête, il était de coutume de ramasser des pierres noires dans la rivière Kuzumigawa qui coule de la montagne pour en faire des pierres à feu. En 1841, l’écrivain Anitoshi Hananoi notait dans ses Mélanges de l’année kanoto-ushi :
Le quatre [du sixième mois]. Il fait beau. Aujourd’hui dans la localité de Kuzumi, c’est l’anniversaire du fondateur du temple de Kujūzan Tōkei’in. Beaucoup de moines sont réunis pour réciter les livres de la Grande Sagesse. Ce temple appartient à l’école sōtō et ses temples dépendants le dirigent chaque année par rotation. Il y a beaucoup de pèlerins. Dans cette vallée de Kuzumi on trouve des pierres noires que les gens ramassent. Comme pierre à feu, elles sont particulièrement efficaces. Dans le village de Yamazaki, on fabrique des konnyakus [des pains d’amidon extraits des tubercules d’une plante, l’amorphophallus] que les pèlerins achètent en souvenir. La plante pousse abondamment dans la montagne. À cause des dernières disettes, tout a été arraché et elle n’a pas encore bien repoussée. Cette plante croît facilement dans la terre sombre.
Une conversion inattendue…
Avec l’adoption du calendrier occidental durant l’époque de Meiji, le jour de la commémoration fut modifié et l’on adopta les dates des 19 et 20 juillet. On les choisit, non par correspondance exacte avec l’ancien calendrier luni-solaire, mais par pragmatisme : Les gardiens d’un pont à péage de la région tenaient un registre annuel du régime météorologique et l’on sélectionna les jours où le ciel était statistiquement le plus dégagé! Car les commémorations attiraient toutes les familles de la région. Elles étaient aussi importantes que les fêtes du nouvel an et celles des morts — tout devait donc être parfait! Et depuis, si par malheur il pleut ces jours-là, on dit que les bonzes ont commis quelques fautes qui leur ont attiré les foudres de Taigan Sōbai…
… Pour tous les fidèles
De l’époque Meiji jusqu’au début de l’ère Shōwa (dans les années 1930), les commémorations qui correspondaient à des travaux agricoles particuliers étaient fériées pour tous les villages alentours. Le 19 au soir, on se rassemblait dans l’enceinte du temple, on dansait et l’on chantait toute la nuit. Entre onze heures du soir et une heure du matin, les femmes galantes de la région entraient en grande tenue pour célébrer Aizen Myōō et Ususama Myōō, deux « rois de sciences » (myōō) à l’aspect courroucé. Il faut dire que le premier est le dieu de l’amour malgré son allure quelque peu diabolique. Depuis l’époque Edō, Aizen Myōō est considéré comme le saint patron du monde des plaisirs et le protecteur des femmes galantes. Ususama Myōō préserve, lui, des maladies gynécologiques… Le 20, les moines procédaient au grand rituel propitiatoire (daikitō) qui consiste à dérouler les rouleaux des livres bouddhiques de la Grande Sagesse (daihannyakyō). Chacun faisait alors des vœux pendant la cérémonie.
Encore aujourd’hui
La commémoration du fondateur reste une grande attraction de la région de Shizuoka. Le 20, les pélerins vont toujours réciter la formule rituelle »Suppression des impuretés! » (fujō nozoke) devant le pavillon d’Ususama Myōō, le gardien qui préserve de toutes les impuretés et autres pollutions. Ils rapporteront pour l’occasion un talisman (ofuda) d’Ususama Myōō qu’ils placeront sur un pilier de leurs propres toilettes. Traditionnellement, chaque pèlerin reçoit également des prunes séchées (umeboshi).