Jiun sonja, un réformateur fondateur d’un mouvement non-sectaire
Jiun sonja (« le vénérable Jiun », son nom le plus usuel) est un célèbre réformateur bouddhiste japonais de l’époque Edo. Il fonda un mouvement de retour aux anciennes règles monastiques connu sous le nom de shōbō ritsu, « la discipline du vrai dharma ». Spécialiste des études sanskrites, talentueux calligraphe, l’importance de son œuvre le fit surnommer « le petit Bouddha du Japon » dans son propre pays. Il est connu sous les noms bouddhistes de Jiun ou de Onkō ainsi que sous les noms de plume de Hyakushirazu dōji (« le novice aux cent ignorances »), Sōryū no okina (« le vieil homme de Sōryū » , du nom de son ermitage de Sōryū‘an) ou de Katsuragisannin (« l’homme du mont Katsuragi », où s’élevait son temple de Kōkiji).
Jiun chercha toute sa vie à dépasser le cadre formel de sa propre école pour retrouver les enseignements originels du bouddhisme. Il naquit à Ōsaka, le fils d’un rōnin (un samouraï sans maître) du nom de Kōzuki Yasunori qui lui fit donner une éducation confucéenne et littéraire. En 1730, encore enfant, il devint novice au temple de Hōrakuji (lien externe : le site du temple) et le disciple de Ninkō Teiki, son abbé. Celui-ci appartenait à l’école shingon ritsu, une branche de l’école shingon qui suivait les règles des anciens codes disciplinaires indiens (vinaya ou ritsu en japonais). Sous la direction de son maître, il s’initia dans ces premières années au bouddhisme ésotérique et au sanskrit. En 1733, Teiki l’envoya à Kyōto dans une école confucéenne où il demeura trois ans. En 1738, il reçut les préceptes de moine au temple de Yachūji de l’école shingon ritsu, l’un des rares temples à perpétuer au Japon l’ordination complète de bhikṣu. Il prit à cette occasion le nom bouddhiste de Onkō. En 1739, son maître se retira et Jiun prit sa succession comme abbé du temple de Hōrakuji.
Mais Jiun cherchait à s’exercer plus profondément à la méditation. En 1741, contre l’avis de son propre maître, il renonça à son poste pour pratiquer sous la direction d’un maître zen de l’école sōtō du nom de Hōsen Daibai (1682–1757). Celui-ci dirigeait alors le temple de Shōanji, dans l’actuelle préfecture de Nagano. Jiun pratiqua dans ce temple jusqu’en 1743. Même s’il exprima des désaccords avec Daibai, Jiun restera toute sa vie sensible à l’enseignement du zen. Il écrivit d’ailleurs plusieurs commentaires de textes traditionnels de cette école.
En 1743, Il revint dans son temple de Hōrakuji. Il envisageait alors de devenir un ermite, mais il est retenu par ses premiers disciples. Il est déjà convaincu que le bouddhisme japonais doit retourner aux sources du bouddhisme (shōbō, « le vrai dharma »), indépendamment de toute affiliation sectaire et que ce retour passe par la restauration du vinaya, la discipline monacale. En 1744, il prend la direction du temple de Chōeiji (lien externe : le site du temple), près d’Ōsaka, qu’il restaure et transforme en monastère.
En 1749, à l’invitation de Gumoku Shinshō, l’un de ses principaux disciples, il fonde un mouvement non sectaire qu’il nomme shōbō ritsu, « la discipline du vrai dharma ». Il écrit le Kompon sōsei, « Les règles fondamentales pour les moines », un texte court sur les règles religieuses qui marque la fondation de ce mouvement. En 1750, il s’établit au temple de Keiriji à l’ouest d’Ōsaka où il demeure jusqu’en 1758. Son intérêt pour le kesa, la robe des moines, date de cette époque. Il étudie en détail les anciennes règles de couture donnés dans les vinaya et, en 1751, il publie le Hōbuku zugi, « Les explications illustrées sur les vêtements bouddhiques ».
Jiun sonja, un ermite, un méditant, un érudit
En 1758, il se retire dans un ermitage sur le mont Ikoma, toujours dans la région d’Ōsaka, du nom de Sōryū‘an (« l’ermitage des deux dragons »), où il va s’adonner à la pratique de la méditation et à l’étude du sanskrit. Son intérêt pour les sources indiennes lui vaut de composer le monumental Bungaku shiryō (« Guide des études sanskrites ») en mille volumes. À Sōryū‘an, naît son projet de coudre et d’offrir mille kesa pour propager sa doctrine du retour aux formes anciennes du bouddhisme. Le premier de ces kesa fut cousu en 1766 et le dernier en 1805, un an après sa mort.
En 1771, Jiun abandonne son ermitage et, à la demande de ses disciples, s’établit au temple d’Amidaji près de Kyōto. Il y demeure cinq ans. Il développe un enseignement et un discours accessibles à tous. Il souligne l’importance des dix préceptes de bien (jūzenkai), une série de dix préceptes utilisés dans tous les écoles bouddhistes, qu’il présente comme un code moral universel, que l’on soit homme, femme, moine ou simple fidèle. En 1775, il publie son œuvre majeure, le Jūzen hōgo (« Les sermons sur les dix préceptes de bien »), des sermons donnés à Amidaji à la requête de membres de la famille impériale.
À l’âge de 58 ans, en 1776, il prend la décision de quitter Kyōto pour se retirer dans un petit temple, le Kōkiji, à Kawachi, dans la préfecture d’Ōsaka, dont il fait le siège principal de son école Shōbō ritsu. Il y vivra vingt-huit ans. Il écrit alors une série de livres simples comme Hito to naru michi (« La voie qui fait l’homme », 1781). Il se consacre notamment à répondre aux attaques des shintoïstes et des confucianistes. À la fin de sa vie, il crée une nouvelle forme de shintoïsme qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours, le unden shintō (« le shintō transmis par Jiun ») qui intègre des éléments du bouddhisme ésotérique et du zen.
Il meurt en 1804 au temple d’Amidaji de Kyōto. Auteur prolixe, ses œuvres complètes en dix-neuf volumes (hors les études sanskrites) font plus de onze mille pages.
Maître Jiun Sonja, sa vie, son œuvre (Sagesses bouddhistes, France 2), deux émissions diffusées les 7 et 14 novembre 2021.

Jiun sonja (1718-1804)
À propos du portrait de Jiun sonja
Tous les portraits peints vers la fin de sa vie montrent Jiun portant la barbe, ce qui peut sembler paradoxal pour un moine soucieux de respecter les règles disciplinaires. Sa biographie, composée par l’un de ses disciples, précise également que « le maître avait le front large et le menton développé, sa barbe et ses sourcils étaient blancs comme neige. » En fait, Jiun ne pouvait se raser sans se couper abondamment. Il suivait une règle transmise oralement dans l’école Shingon ritsu selon laquelle il est possible à un moine malade de garder des cheveux et une barbe d’une longueur inférieure à quatre doigts.
Des textes de Jiun sonja
À venir.
Pour aller plus loin
• Paul B. Watts, Jiun Sonja (1718-1804): Life and thought, Ph.D., Columbia University, 1982. En ligne (accès payant).
• Paul B. Watts, Sermons on the Precepts and Monastic Life by the Shingon Vinaya Master Jiun, The Eastern Buddhist, New Series, Vol. 25, No. 2 (Autumn 1992), pp. 119-128. En ligne (fichier pdf téléchargeable).
• Regan Eileen Murphy, The Urgency of History: Language and Ritual in Japanese Buddhism and Kokugaku, Harvard University, 2010. En ligne (accès payant).