Kujūzan Tōkei’in, temple de l’école zen sōtō

Nous vous proposons de découvrir le temple de Kujūzan Tōkei’in, le temple principal de notre lignée. Il se trouve à quelques kilomètres au Nord-Ouest de Shizuoka, une importante agglomération de la côte Sud du Japon, chef-lieu de la préfecture homonyme, à 180 kilomètres environ à l’Ouest de Tōkyō, près de la péninsule d’Izu.

Tōkei’in appartient à l’école zen sōtō fondée par le maître Eihei Dōgen (1200-1253). En Shōwa 9 (1934), le temple fut promu comme centre d’entraînement (senmon sōdō) pour les moines de l’école sōtō. En Shōwa 18 (1943), Tōkei’in est élevé au rang de dixième monastère de l’école sōtō. Shunryū Suzuki, auteur du célèbre Esprit zen, esprit neuf, y enseigna pendant les années de guerre.

Le systèmes des temples japonais fonctionnent selon des liens de dépendance aux accents familiaux. Chaque temple se trouve inséré dans une chaîne, placé entre son temple principal (ou d’origine, honji) et son ou ses temples secondaires (matsuji). Le temple de Tōkei’in a pour temple principal le temple de Daitō’in (préfecture de Shizuoka) et possède six principaux temples secondaires.

L’adresse : Kujūzan Tōkei’in, 1840 Hatori, Shizuoka, 421-12, Shizuoka-ken. Le site internet du temple (en japonais). Et ci-dessous une vidéo de présentation.

Tōkei’in, hier et aujourd’hui

Tōkei’in est surtout connu aujourd’hui pour ses magnifiques pruniers que les citadins viennent voir fleurir au début du printemps ainsi que par ses fameuses célébrations qui se tiennent en juillet. Mais l’atmosphère provinciale du temple masque une longue histoire : Tōkei’in a toujours été un important centre religieux de la région de Shizuoka.

Il y a bien, bien longtemps, un sanctuaire de l’école bouddhiste shingon du nom de Kikei’an dédié à la divinité Manari Daimyōjin s’élevait non loin de là. En 1452, un seigneur du nom de Fukushima, offrait des terres à Sekisō Enchū, un maître zen de l’école sōtō pour y édifier un temple qu’il baptisa Tōkei’in.

Les origines de Tōkei’in

L’histoire commence avant même que l’ancienne province de Suruga (aujourd’hui réunie dans la préfecture de Shizuoka) s’appelle de ce nom. Tōkei’in s’élève sur les terres de la très ancienne division administrative d’Hatori près de la rivière Kuzumigawa. Ce toponyme est une déformation de hataori, « le tissage ». Des familles chinoises s’étaient installées dans ces parages, peut-être dès le IIIe siècle après Jésus-Christ, important du continent les techniques d’élevage des vers à soie et de tissage. À l’époque de Nara (VIIIe siècle), l’endroit était devenu un important centre de tissage qui fournissait la cour impériale et les marchés de la région. La divinité locale de Manari daimyōjin qui a toujours son sanctuaire à Tōkei’in était d’ailleurs la divinité protectrice des éleveurs de vers à soie et des tisserands.

Un sanctuaire résidentiel de l’école ésotérique shingon dédié à Manari daimyōjin fut d’abord élevé en ces lieux. Il portait le nom de Kikei’an, « l’Ermitage de la félicité joyeuse ». Ce sanctuaire était en ruine depuis longtemps lorsque le moine zen Sekisō Enchū s’y établit.

Ce Sekisō Enchū, était l’un des six principaux disciples de Jochū Tengin (1365-1437), un maître important de l’école sōtō qui avait fondé plusieurs temples importants dans la région. Sekisō était le frère de Miura Hyōe, un vassal de Fukushima Iga no kami Yoshitaka, sans doute le seigneur des châteaux d’Abe et de Maruko non loin de Tōkei’in. Fukushima (on trouve encore la variante Fukuma) était lui-même vassal de la puissante famille des daimyō Imagawa qui régnait alors sur les provinces de Suruga et de Tōtomi. Il est connu sous le nom religieux posthume de « Grand maître de maison Sessō Zenchū, messire de Tōkei’in » (Tōkei’in dono sessō zenchū daikōji).

Sekisō Enchū

Sekisō Enchū

La fondation du temple

Une fois, Sekisō Enchū rendit visite à son frère au village de Kuzumi. Il y avait non loin de là dans le village de Takyō, le sanctuaire abandonné de Kikei’an. Sekisō s’installa dans les lieux et on dit que trois ans durant, il chercha aux alentours un emplacement propice pour y établir un nouveau temple. Un soir alors qu’il allait s’endormir, il entendit un bruit étrange. Par la porte de l’ermitage, un renard blanc était entré qui vint à la tête de son lit. Sekisō se redressa immédiatement. Le renard se retourna plusieurs fois comme s’il voulait qu’on le suive. Sekisō se leva et comme dans un rêve suivit l’animal. Il finit par se retrouver dans la montagne proche de Kuzumi quand soudain, il entendit une grande voix briser le silence et dire : « Ouvre ici une aire de l’éveil! » Était-ce le kami de la montagne ou la voix de son maître ? Sekisō se réveilla, le renard avait disparu et il n’y avait plus que le bruit de la rivière dans la nuit profonde. Tout impatient, il se rendit le lendemain matin auprès de Miura : Il fallait construire un ermitage à l’endroit désigné!

On dit qu’ému par l’histoire, Fukushima Iga no kami, offrit la terre. Les ruines de l’ancien château d’Abe se trouve à quelques centaines de mètres de Tōkei’in et il est vraisemblable que le temple fut en réalité construit à dessein près de la demeure de Fukushima. Ce dernier demanda à Miura et à son fils adoptif Ishigami Hyōe Tadatsugu, de contribuer à l’édification du temple. Sekisō fit alors venir son disciple Taigan Sōbai pour superviser les constructions et lui-même partit. Au printemps de la seconde année de l’ère Kyōtoku (1453), les bâtiments étaient achevés. Sekisō fit de son maître Jochū l’abbé-fondateur honorifique du temple comme il était souvent de coutume. Bien qu’il ne soit officiellement que le troisième abbé après Jochū et Sekisō, Taigan Sōbai fut en fait le véritable artisan de la construction du temple. Il est souvent désigné comme l’abbé-fondateur constructeur (kaisō kaisan) alors que Jōchū l’est sous le titre d’abbé-fondateur invité (kanjō kaisan).

La famille de Ishigami Hyōe Tadatsugu, connu également sous le nom religieux de Ryōshin, remontait à Ishigami Tōzaemon Muneaki, un guerrier qui s’était installé dans la région pendant l’ère Genkō (1321-1324). Il fut adopté par un seigneur Fukushima qui n’avait pas d’enfant, et sa famille prit pendant quatre générations le nom de Fukushima. Ce n’est que lorsque le clan d’Imagawa fut défait par ses rivaux que celle-ci reprit son ancien nom. Cette famille resta cinq siècles durant la principale famille donatrice du temple de Tōkei’in, la famille Fukushima s’étant éteinte. On doit à Ishigami Hyōe d’avoir fait sculpter une statue d’Avalokiteśvara à mille mains (senju kannon) qui est depuis honorée comme le principal objet de vénération (honzon) du temple.

Senju kannon

Les statues en bois des trois premiers abbés de Tōkei’in :

Les statues des trois premiers abbés de Tôkei'in

Le nom du temple

Composés de deux fois trois caractères, les noms des temples bouddhistes d’Extrême-Orient sont toujours doubles : le premier nom se termine systématiquement par san (parfois prononcé zan en composition, « montagne »), le second par ji, « temple », ou plus rarement par in, que l’on pourrait traduire par « moutier », ou par an, « ermitage ».

L’environnement des montagnes et des vallées profondes a toujours été considéré comme des lieux propices à la méditation, loin des « poussières rouges » du monde selon l’expression chinoise. Le sanmon, « la porte de la montagne » désigne par exemple le bâtiment d’entrée d’un temple. Même si les temples ne sont pas toujours construits dans les montagnes, ils gardent cette appellation synonyme d’aire sacrée.

Le nom de Kujūzan Tōkei’in se lit mot à mot « la montagne de la demeure pérenne, le moutier de la félicité de la caverne ». La traduction littérale est, sinon obscure, du moins trompeuse. Déjà, les caractères qui forment le nom de Kujūzan se lisent à la japonaise kuzumi yama… qui n’est autre que le nom de la montagne au pied de laquelle Tōkei’in est édifié. Ce toponyme est assez courant au Japon. Ici les caractères chinois choisis pour transcrire ce nom ont une connotation bouddhique. L’expression « la demeure pérenne » se retrouve à plusieurs reprises dans le Sūtra du Lotus, comme dans ce passage : « Fils de l’Éveillé! Qui sera capable de sauvegarder la Loi ? Il se devra de déployer sa grande résolution pour la faire demeurer pérenne. » (Traduction Jean-Noël Robert, le Sūtra du Lotus, Paris, Fayard, 1997, p.229).

Le caractère lu ne doit pas simplement être pris dans son sens de « caverne ». Il évoque l’école sōtō et encore plus le Daitō’in, « le moutier de la grande caverne », le temple fondé par Jochū Tengin, le propre maître d’Enchū. Le caractère kei, « la félicité », est repris de l’ancien nom du sanctuaire shingon, le Kikei’an. Kyūjūzan Tōkei’in se comprend ainsi comme « le temple de l’école sōtō qui fut nommé la félicité et qui se trouve dans la montagne de Kuzumi ». En la matière, l’allusif est aussi important que la signification littérale.

Les abbés de Tōkei’in

Sekisō Enchū prit le titre de second abbé laissant celui, honorifique, d’abbé-fondateur (kaisan) à son maître défunt Jochū. Taigan Sōbai succéda à Enchū comme troisième abbé. À la mort de Sōbai, trois de ses disciples reprirent la charge : Kensō Jōshun (quatrième abbé), Gyōshi Shōjun (cinquième abbé) et Efu Keimon (sixième abbé). La charge abbatiale fut ensuite assumée, à tour de rôle et jusqu’à la fin du XIXe siècle, par chacune des lignées issues de ces trois abbés selon le système de rotation en usage dans l’école Sōtō. Aujourd’hui se succèdent des abbés dits « permanents » qui y résident sans limitation de temps.

Les derniers abbés, Niwa Bukkan Myōkoku (1862-1904), 3e abbé-permanent, Masuda Butsuzan Zuimyō (1838-1910), 4e abbé-permanent, Niwa Butsuan Emyō (1880-1955), 5e abbé-permanent, et Niwa Zuigaku Rempō (1905-1993), 6e abbé-permanent, assumèrent tous d’importantes fonctions au sein de l’école sōtō, ce qui rehaussa le prestige du temple. Niwa Zuigaku Rempō fut le supérieur général de l’école sōtō et le 77e abbé du monastère d’Eiheiji, l’un de ses deux temples principaux (honzan).

Niwa Rempô

Niwa Rempō

Dans ce monde moderne, ils suivaient le style ancien de la tradition zen. À la fin des années 1970, Niwa Rempō décrivait le début de sa journée à Tōkei’in :« Je me lève à deux heures et demie du matin et j’accomplis mon devoir. Je plie le lit, je me lave, je me brosse les dents et je frictionne mon corps. Puis j’allume quatre, cinq bâtons d’encens que je vais placer dans les différentes salles, devant le fondateur, dans le pavillon principal, dans la salle de méditation, etc. Puis je me rends dans la salle de méditation, je me prosterne devant Mañjuśrī et je médite. Après la méditation, je claque deux fois des mains. Tout le monde qui vient au temple peut alors bénéficier de la fraîcheur de la méditation. Je fais cela tous les jours, sans exception. »