Le terme de nyohō (« conforme au dharma ») désigne un style de pratique qui se perpétue aujourd’hui dans quelques lignées des écoles bouddhistes japonaises sōtō et shingon. Un moine de l’école shingon ritsu, Jiun sonja (1718-1804) en est le promoteur. L’école shingon ritsu (« La discipline de la parole sacrée ») est une petite école fondée au XIIIe siècle par un moine du nom de Eison (1201-1290) [lien externe : notice biographique, Dictionnaire historique du Japon] qui combine la pratique tantrique (vajrayāna, en jap. shingon) et la discipline monastique (vinaya, en jap. ritsu).
On attendrait que toutes les écoles bouddhistes soient conformes à l’enseignement du Bouddha, pourquoi une telle dénomination ? Il faut revenir au contexte de l’époque Edo (XVIIe-XIXe siècles). À cette époque, un même sentiment prévaut, partagé de tous, que le bouddhisme japonais, toutes écoles confondues, a oublié sa vocation la plus profonde. Les moines sont perçus comme des affairistes ; ils mènent grand train, ils entretiennent des concubines. Pour tous ceux qui recherchaient une voie d’authenticité, la conformation au dharma passait inévitablement par les retrouvailles de la vie monastique. De nombreux essais sur les règles des moines sont alors publiés, particulièrement dans la tradition zen. Toutes ces règles témoignent d’une pratique du quotidien. Le moine épouse l’ordinaire, il mange, il s’habille, il dort. Et pourtant en épousant instant après instant l’ordinaire, il s’exerce à quelque chose d’autre. Tous ses actes sont ouverture à l’indicible et au sacré. Il ne vit que l’extraordinaire.
Critique également du sectarisme et des intrigues propres au bouddhisme de son temps, Jiun sonja initie, non une école à proprement parler, mais un mouvement non-sectaire qu’il nomme shōbō ritsu, « La discipline du vrai dharma ». La fidélité au Bouddha passait par un retour aux traditions indiennes. Loin d’être un obscur moine, Jiun sonja a profondément marqué le bouddhisme moderne japonais, même s’il vécut la plus grande partie de sa vie dans de petits ermitages. Son approche, austère, n’est pas sans rappeler la tradition des moines de la forêt dans l’école theravāda.
Il ne mâchait pas ses mots :
Le culte des principes essentiels [de son école] est le germe de la déchéance aux enfers. La préséance donnée à [son] fondateur est un poison aveuglant l’œil de la sagesse. Une grande partie du clergé [bouddhiste] d’aujourd’hui est suffisant et sectaire. Ils disent : «Notre fondateur est l’avatar d’un bouddha ou d’un bodhisattva.» Ils proclament : «Comme il a saisi les transformations du ciel et de la Terre et les changements du yin et du yang, notre maître-patriarche [détenait] des pouvoirs surnaturels inconcevables.» Ils abusent les hommes et les femmes ignares. A l’époque de la fin du dharma, si l’on s’en réfère à que disait le Bouddha, les pouvoirs démoniaques prospèrent et de telles choses sont courantes. Si un authentique homme de la voie souhaite se mettre en quête d’un bouddhisme authentique, il ne doit considérer comme fondamental que l’époque où vivait le Bouddha. Au temps du Bouddha, les principes essentiels qui apparaissent aujourd’hui n’existaient pas. (Source : Jiun sonja hōgo shū, « Recueil des sermons du vénérable Jiun », Sammitsudō, Kyōto, p. 19).
Dans l’original (bungo, japonais littéraire) :
宗旨がたまりは地獄に墮するの種子。祖師びいきは慧眼を瞎するの毒藥。今時の僧徒多くは我慢偏執ありて、我祖は佛菩薩の化身なりと云ひ、天地の變陰陽の化をとりて、我祖師は不思議の神力なりと説き、愚癡の男女を誑す。佛説によるに、末法には魔力を興盛にして多くかくのごとき事ありと示し給ふ。若し眞正の道人ありて眞正の佛法を求めんと欲せば、唯だ佛在世を本とすべし。佛世には今の様なる宗旨はなかりき。
Jiun sonja et la tradition zen
Au début du vingtième siècle, deux moines de l’école sōtō, Hashimoto Ekō (1890-1965) et Sawaki Kōdō (1880-1965), étudièrent les ouvrages de Jiun sonja. Ils intégrèrent cette tradition de retour aux sources dans leur propre pratique, notamment par le port d’un habit religieux préconisé par Jiun sonja, le nyohōe, « le vêtement conforme au dharma ». Jiun désapprouvait le culte aux fondateurs des écoles bouddhistes japonaises. Hashimoto comme Sawaki, même s’ils furent l’un et l’autre critiques de leur propre école, ne militèrent pas en faveur d’un mouvement non-sectaire ni ne critiquaient la prééminence donnée à Dōgen, bien au contraire. La tradition zen ne suit pas les vinaya, les codes disciplinaires indiens, et pour eux la tradition nyohō signifiait plutôt se conformer aux règles monastiques de leur propre école. Hashimoto soulignait l’importance d’une pratique monastique conforme aux enseignements de Dōgen. À la différence d’Hashimoto, Sawaki, qui était un moine itinérant, ne mit pas autant l’accent sur la vie communautaire. De Jiun sonja, les deux retenaient une fidélité au dharma et un esprit sans compromis.
Sawaki Kōdō portant un kesa nyohōe à la manière de Jiun sonja, les deux coins de la robe serrés dans la main gauche.