Laboratoire d’idées, de propositions et d’échanges, la Plateforme française pour la justice restaurative a joué un rôle important dans le développement de la justice restaurative en France. La sociologue Delphine Griveaud (auteur de Réparer la justice. Enquête sur les pratiques restauratives en France [lien externe], Éditions La Découverte, 2025) est sans doute la seule à avoir souligner son travail qui s’est étendu des années 2013 à 2018. En 2014, Éric Rommeluère, alors membre de la Plateforme, rédigeait une présentation. La voici en ligne. Photographie : le colloque du 28 mai 2015 à Paris organisé par la Plateforme Française pour la Justice Restaurative.
La Plateforme française pour la justice restaurative
La Plateforme française pour la justice restaurative est un collectif né en septembre 2013 à l’initiative de la Commission Justice et Aumônerie des prisons (Fédération Protestante de France). Elle promeut une conception de la justice pénale qui ne se borne pas à sanctionner et à favoriser la réinsertion des condamnés, mais qui s’efforce de restaurer pleinement les victimes et les auteurs de délits dans leur intégrité personnelle, sociale et citoyenne. Une telle justice trouve son application concrète dans la mise en place de procédures comme les rencontres entre victimes et détenus. La Plateforme est composée d’acteurs et de chercheurs du champ pénitentiaire.
Sa première manifestation officielle est la proposition d’amendements au projet de loi relatif à la prévention de la récidive et l’individualisation des peines qui sera présenté au Parlement en juin 2014.
Qu’est-ce que la justice restaurative ?
Le terme de justice restaurative (restorative justice en anglais) désigne une approche de la justice soucieuse de considérer l’ensemble des protagonistes d’un conflit, d’un délit ou d’un crime : les « infracteurs », les victimes, leurs proches, leurs communautés d’appartenance et plus généralement la société. Elle s’inspire des pratiques de médiation ou de résolution de conflits en présence d’un tiers garant. Howard Zehr, pasteur, criminologue et professeur à l’Université Mennonite de Harrisonburg (Virginie, USA) a largement théorisé la justice restaurative, ses méthodes et ses possibilités dans le cadre des sociétés modernes et occidentales1. Dans un système pénal comme le nôtre, les applications peuvent prendre différentes formes : la médiation pénale, les rencontres entre détenus (ou condamnés en milieu ouvert) et victimes, les cercles de détermination de la peine ou encore les cercles de soutien et de responsabilité destinés à accompagner les condamnés après leur peine.
Des programmes de rencontres restauratives tout au long du processus pénal ont vu le jour dès les années 1990 dans plusieurs pays comme le Canada et les États-Unis. En Europe, la Belgique est le premier pays qui, en 2005, a inscrit dans la loi la médiation entre les victimes et les auteurs de crime ou de délit à tous les stades de la procédure quelle que soit l’infraction commise. L’évaluation sur huit ans de l’ensemble des médiations menées en Belgique montrent que la mise en présence et le suivi des rencontres entre victimes et auteurs d’infraction a de multiples répercussions positives sur les parties en présence.
En France, une première expérience, prometteuse mais limitée, a été menée à la Maison Centrale de Poissy, en 2010. Une seconde expérience est actuellement en cours depuis le premier trimestre 2014 dans la même Maison Centrale de Poissy2. Des rencontres en milieu ouvert sont actuellement en préparation. Deux cercles de soutien et de responsabilité viennent d’être mis en place par les Services pénitentiaires d’insertion et de probation des Yvelines.
Les rencontres restauratives
D’une façon générale, les rencontres restauratives peuvent avoir lieu à tous les stades du processus pénal, notamment lors de l’application de la peine. Elles supposent que certaines conditions soient réunies : le consentement des personnes ; leur participation effective ; la présence d’« un tiers justice » professionnel (médiateur/animateur) et d’« un tiers psychologique et/ou social » pour accompagner, si nécessaire, les participants.
Les évaluations scientifiques de ces rencontres sont éloquentes. Les participants témoignent entre autres :
- D’une plus grande satisfaction de la justice, qu’ils ressentent plus équitable, rendue dans le respect de leur dignité, de leur citoyenneté et la reconnaissance de leurs souffrances.
- D’améliorations notables de leur santé physique et psychique.
- Du recouvrement de l’estime de soi, de la responsabilité et de la confiance.
- D’une facilitation du travail des magistrats, d’une moindre récidive et d’une diminution des coûts pénitentiaires.
Il est toujours possible d’envisager une rencontre restaurative, au sens large, avant un classement sans suite ou comme une alternative aux poursuites pour des faits sans grande gravité, mais aussi en cas d’impossible action publique (dans le cas de la non élucidation formelle des faits ou de leur prescription, du suicide de l’auteur de son inaptitude à répondre de ses actes).
Pourquoi une Plateforme française pour la justice restaurative ?
Le rapport sur La justice restaurative du Conseil national de l’aide aux victimes de mai 2007, les Assises de l’Institut National d’Aide aux Victimes et de Médiation (INAVEM), « De la réparation à la restauration », les premières en juin 2008, « Victime et Auteur. La possible rencontre », les secondes en juin 2012, le colloque « Punir, guérir, restaurer. Regards croisés sur une autre manière de faire justice », organisé par la Fédération Protestante de France au Sénat en janvier 20133 ont contribué à faire connaître les enjeux, les méthodes et les évaluations de la justice restaurative. L’intérêt et les échos restent cependant limités, les expériences menées ou en cours dans le champ pénitentiaire des cas isolés.
Lors de la Conférence de consensus sur la prévention de la récidive de février 2013, organisée par le Ministère de la Justice, Robert Cario, professeur de Criminologie et de sciences criminelles à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour en a fait une présentation et a soumis plusieurs propositions visant à intégrer de nouvelles mesures de justice à chacun des stades du processus pénal. Dans les conclusions du jury remis au Premier Ministre, cependant, il n’est fait allusion à la justice restaurative que de manière accessoire et plutôt sous la forme d’une piste à explorer4.
Il existe sans doute de multiples freins au développement des pratiques de justice restaurative en France :
- La conception française de la justice qui privilégie l’égalité sur l’équité. Le droit positif donne une moindre place au contexte.
- Le peu d’intérêt des politiques pour l’examen des approches et des mesures mises en place dans d’autres pays.
- L’absence d’évaluation fiable des politiques pénales en France. Une telle évaluation permettrait d’aborder plus sereinement les débats actuels sur la récidive (sur l’aménagement des peines, les peines planchers ou la proposition devenue controversée de libération sous contrainte).
- D’une façon plus générale, aucune réflexion n’est véritablement menée sur le sens de la peine. Notre société semble largement privilégier la neutralisation des condamnés alors que l’une des fonctions de la peine, inscrite dans la loi, est bien la réinsertion des condamnés.
- Une méconnaissance des principes de la justice restaurative, tant du grand public que des professionnels de justice qui restent dubitatifs sur l’intérêt des mesures pouvant être mises en place.
- D’une façon pratique également, les établissements pénitentiaires et les diverses structures comme les Services pénitentiaires d’insertion et de probation, le service Protection judiciaire de la jeunesse, les associations-relais ont peu de latitude ou de moyens pour promouvoir et mettre en place des rencontres restauratives.
Il convient cependant de souligner les évolutions positives du droit et de la justice française dans les décennies passées avec la mise en place de mesures comme la médiation pénale et la réparation pénale à l’égard des mineurs en 1993. De fait, une complémentarité s’est instaurée entre le traitement pénal des conséquences du crime et la prise en compte de ses répercussions que l’on peut qualifier de restaurative. La directive du Parlement européen et du conseil du 25 octobre 2012 a établit des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes qui s’applique aux États membres de l’Union5. Toutes ces mesures reposent sur une triple ambition : la resocialisation effective du condamné, la nécessaire réparation de la victime, le rétablissement harmonieux de la paix sociale. Il s’agit aussi des objectifs que poursuit la justice restaurative.
Ces dernières années, Madame Taubira, Ministre de la Justice, la Direction de l’Administration Pénitentiaire, des magistrats, des directeurs d’établissement pénitentiaire, des professionnels de justice, des députés, des sénateurs ont montré leur intérêt pour les pratiques de justice restaurative. Des intervenants et des acteurs des champs judiciaire et pénitentiaires (organisations, aumôniers et chercheurs) ont donc souhaité, aujourd’hui, unir leurs efforts afin de soutenir ou d’initier des expériences de justice restaurative en France dans les établissements pénitentiaires ou en milieu ouvert.
Les membres de la Plateforme
La Plateforme française pour la justice restaurative est née sous l’impulsion de l’Aumônerie Protestante des Prisons (Fédération Protestante de France). Les pratiques de rencontres restauratives, telles qu’elles sont pratiquées aujourd’hui dans différents pays tout au long du processus pénal, ont rencontré un écho favorable auprès des aumôneries. La perception et la réalité de la fonction des aumôniers en milieu carcéral ont évolué ces dernières années notamment avec l’élargissement des aumôneries aux orthodoxes, aux musulmans et plus récemment aux bouddhistes. Les aumôniers se perçoivent aussi comme des restaurateurs de l’intégrité de toutes les personnes qu’ils côtoient, au-delà même de leur appartenance religieuse et l’Administration Pénitentiaire les reconnaît comme des acteurs obligés. Sans être des médiateurs, leur présence neutre et bienveillante les place dans une situation médiane à même de jouer un rôle dans un processus réparateur6.
La Fédération Protestante de France a soutenu la publication d’un ouvrage d’Howard Zehr publié en français sous le titre La justice restaurative. Pour sortir des impasses de la logique punitive (aux Éditions Labor et Fidès, 2012) et a organisé le colloque Punir, Restaurer, Guérir. Regards croisés sur la justice restaurative en janvier 2013 au Sénat.
Les espoirs suscités par les pratiques de justice restaurative est partagée par d’autres acteurs et professionnels, plus particulièrement l’Institut National d’Aide aux Victimes et de Médiation (INAVEM).
Les membres de la Plateforme sont (en date du 5 mai 2014) :
– Brice Deymié, aumônier national des prisons, Sylvie Hege, Arnaud Latscha, Christophe Hahling, Arnaud Stolz, Pascal Hickel et Frédéric Rognon (Aumônerie Protestante des Prisons) ;
– Sabrina Bellucci et Mathilde Mansourian (Institut National d’aide aux victimes et de médiation, INAVEM) ;
– Pierre-Victor Tournier (Université de Paris) ;
– Robert Cario (Institut français pour la Justice restaurative, IFJR) ;
– Vincent Leclair (aumônier national catholique des Prisons) ;
– Marc Génin (aumônerie orthodoxe des prisons) ;
– Éric Rommeluère (coordinateur de l’aumônerie bouddhiste des prisons de 2010 à fin 2013) ;
– Marion Trotignon, criminologue.
Les buts de la Plateforme
La Plateforme se propose plus largement de :
- Faire connaître la justice restaurative, son intérêt, ses principes et ses garanties de mise en œuvre, tant auprès des pouvoirs publics, de l’Administration Pénitentiaire, des professionnels de justice que du public.
- Initier un grand débat sur le sens de la peine (de la punition) dans la société française.
- Promouvoir et faciliter les rencontres restauratives infracteurs-victimes, soit en milieu ouvert soit dans l’enceinte des établissements pénitentiaires.
- Former ou contribuer à la formation des futurs médiateurs/animateurs (professionnels et bénévoles) des rencontres restauratives.
Les premiers travaux de la Plateforme – la loi sur la prévention de la récidive et l’individualisation des peines
Les membres de la Plateforme sont conscients que l’intégration des mesures de justice restaurative dans notre système de justice pénale est soumise à deux conditions :
- La professionnalisation et la formation des intervenants ;
- L’adoption d’un texte législatif particulier posant le principe du recours aux mesures de justice restaurative à l’initiative des magistrats ou à la demande des parties, à l’instar de la législation belge.
Le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines devait être débattu au Parlement et présenté par Madame Taubira, Ministre de la Justice, en avril 2014. Son examen a été repoussé au moins de juin prochain. Bien que ce projet s’appuie sur la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, les pratiques de justice restaurative n’y sont pas mentionnées7.
La Plateforme pour la justice restaurative a donc souhaité soumettre aux députés un certain nombre d’amendements intégrant le principe des mesures de justice restaurative. Synthétisant les premiers travaux de la Plateforme, ces amendements ont été rédigés par Pierre-Victor Tournier qui a été lui-même auditionné par la commission des lois de l’Assemblée Nationale le 20 février 2014.
Ces amendements portent plus particulièrement sur :
- La définition de la peine dans la loi (proposition : « Afin de restaurer la paix sociale, dans le respect des droits reconnus aux victimes, de protéger la société et de prévenir la commission de nouvelles infractions, la peine a pour fonctions : de sanctionner le condamné, de favoriser sa reconstruction, son insertion ou sa réinsertion afin de lui permettre de mener une vie responsable, respectueuse des règles de la société et soucieuse du bien commun » au lieu de « Afin de protéger la société, de prévenir la de récidive et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des droits reconnus à la victime, la peine a pour fonctions : de sanctionner le condamné ; de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion »).
- L’inscription d’un droit reconnu aux victimes de solliciter la mise en œuvre de mesures restauratives (rencontres encadrées condamné-victime, cercle de soutien et de responsabilité).
- La possibilité de mettre en place ces mesures avec l’accord du condamné8.
Éric Rommeluère (29 avril 2014)
Notes
1. Site internet d’Howard Zehr (en anglais).
2. Sur l’expérience menée à la Maison Centrale de Poissy en 2010, on lira de Robert Cario, Les rencontre détenus-victimes. L’humanité retrouvée, Paris, L’Harmattan, 2012.
3. La justice restaurative, Conseil National d’Aide aux Victimes, 2007, De la réparation à la restauration, Institut National d’Aide aux Victimes et de Médiation, 2008, Punir, restaurer, guérir. Regards croisés sur la justice restaurative, Paris, l’Harmattan, 2014.
4. Les actes de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive ne sont plus disponibles sur le site du Ministère de la Justice. On les retrouvera sur le site de La Mission de recherche Droit et Justice.
5. Directive du Parlement européen et du conseil du 25 octobre 2012.
6. Sur cette question, on lira l’étude de Céline Béraud, Claire de Galembert et Corinne Rostang, Des hommes et des dieux en prison (2013) commanditée par le Ministère de la Justice, disponible auprès de la Mission recherche Droit et Justice.
7. Projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines. On pourra également lire l’étude d’impact sur le site de l’Assemblée nationale.
8. Les amendements proposés sont disponibles sur le blog de Pierre-Victor Tournier.
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