Le 8 décembre est le jour le plus important de l’année pour tous les pratiquants du zen puisqu’on célèbre ce jour-là l’éveil du Bouddha Śākyamuni. Selon la tradition, après avoir médité toute la nuit, le Bouddha encore assis contempla l’étoile du matin qui scintillait. Il s’éveilla soudainement « en grand » (daigo 大悟) et s’exclama : « Moi et tous les êtres sur la vaste terre avons simultanément réalisé l’éveil ! » L’événement eut lieu le 8 du douzième mois (rōhatsu 臘八) dans l’ancien calendrier chinois, l’année de ses trente ans. Avec l’adoption du calendrier occidental depuis plus d’un siècle, les Japonais célèbrent désormais l’éveil le 8 décembre.
À cette occasion, les pratiquants ont à cœur de revivre ou de tenter de revivre le grand éveil du Bouddha. Tous s’assemblent pour une retraite intensive d’une durée de sept jours, la rōhatsu sesshin, littéralement « la retraite du huit du douzième mois ». Elle débute le 1er décembre au soir et se termine le 8 au matin. Cette retraite est uniquement dédiée à la méditation, pratiquée quasiment sans interruption pendant sept jours.
Dans le zen, le grand éveil du Bouddha désigne son expérience de l’ultime. Son éveil était vaste car il n’était plus encombré par quoi que ce soit. On ne dit pas, comme dans d’autres traditions bouddhistes, que le Bouddha Śākyamuni s’éveilla à une certaine compréhension ou bien encore qu’il eut la conscience de ses vies antérieures. Non, on dit simplement qu’il s’éveilla soudainement en grand. Cet éveil n’a pas d’objet, il possède simplement la caractéristique d’être grand et soudain. S’éveiller désigne un processus d’ouverture inconditionnelle. Sa grandeur tient là, rien ne le limite, même pas une compréhension. Lorsqu’il vit l’étoile du matin, le Bouddha ne vit pas l’étoile du matin qu’il avait vu les jours auparavant, il vit une unique étoile dans sa totale nouveauté, dans sa totale clarté. Il s’éveilla grandement, car il rompit avec ses attentes et ses représentations. Tout devint alors vaste et nu. La vie n’est jamais obscurcie par nos attentes et nos désirs. Il n’y a que nous-mêmes qui sommes empêchés de vivre. S’éveiller grandement revient à ne plus être empêché par quoi que ce soit. Demeurer dans l’ouvert, c’est se laisser affecter par le réel.
Le grand éveil a nécessairement une dimension soudaine. À chaque instant, notre rencontre avec la réalité est toujours à neuf, et d’une certaine manière, nous sommes toujours éveillé par la réalité. Pourtant cette rencontre demeure imparfaite et obstruée. Parfois un événement inattendu surgit dans la procession des moments qui passent et qui démaille avec force et virulence nos attentes et nos projets. Un tel événement nous démontre immédiatement et soudainement que nous sommes constamment incarcérés dans le jeu de nos habitudes et de nos pensées. Nous n’apercevons qu’une semblance du réel. Mais confrontés à un événement inattendu, ce que nous n’attendions pas surgit. Ce qui surgit n’est rien d’autre que la réalité elle-même. Cette force de l’inattendu qui nous surprend au détour des jours, nous la connaissons tous. L’inattendu sait si bien venir à nous et nous défaire. Pourquoi ne viendrions-nous pas à lui ? Par la soudaineté, nous sommes invités à nous dépouiller de notre ancienne peau. Dans le même instant, nous mourrons et nous naissons, nous nous quittons et nous nous retrouvons.
Pourquoi les pratiquants ont-ils tous à cœur de s’exercer à la rōhatsu sesshin ? Car ils peuvent s’ouvrir à cette dimension de la grandeur et de la soudaineté. Méditation après méditation, on s’aperçoit comme nos méditations n’ont pas encore cette force de l’ouverture inconditionnelle. Nous percevons très concrètement comme nous vivons toujours plus ou moins dans nos rêves. Moment après moment, la méditation ininterrompue nous invite à nous défaire de toutes ces couches qui nous obstruent, nos représentations de nous-mêmes, nos habitudes, nos idées sur la méditation qui sont infinies et toujours de trop. On ressent les effets de contraintes que l’on s’impose à soi-même et qui imprègnent le corps et le mental. Il n’existe qu’une seule solution pour traverser toutes ces contraintes : un abandon inconditionnel. Tel est l’enjeu de la rōhatsu sesshin.
Une vidéo tournée au Japon pendant la rōhatsu sesshin.
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