Les Règles de la méditation assise recommandées à tous (Fukanzazengi), traduction annotée, troisième partie, le titre.

Version originale chinoise : 普勸坐禪儀
Lecture japonaise : Fukan zazen gi
Mot à mot : Universel – conseil – assise – méditation – principe
Stylistique/métrique : 2 – 2 -1
Traduction : Les règles de la méditation assise recommandées à tous

Les Règles de la méditation assise, en japonais Zazengi 坐禪儀, du maître Zongze, est un bref manuel de méditation en chinois. Il demeure encore aujourd’hui comme un texte de référence dans l’école zen rinzai japonaise. Dōgen reprend ce texte qu’il augmente, modifie et amende. Il en reprend donc le titre : les Règles (gi) de la méditation (zen) assise (za) Gi 儀 signifie également «procédure, conduite ; rite, cérémonie».

Mais il y a un ajout, fukan 普勸, apposé devant ce zazengi. L’expression est lue en japonais amaneku susume, «conseils à l’universalité». On ne la retrouvera qu’une seule autre fois sous la plume de Dōgen et sous la forme «on recommande généralement de…» (fukan suraku wa 普勸すらくは), dans le livret Sanjūshichihon bodai bunpō. L’universalité est celle du Grand Véhicule. L’enseignement s’adresse à tous, peu importe leurs capacités ou leurs empêchements. Mais pourquoi ajouter une telle expression, inexistante dans toute la littérature chinoise (il faut le souligner), et qui donne un tour précieux et singulier au titre ?

Une lecture approfondie du texte montre que chaque mot est soigneusement choisi, afin qu’il résonne dans ses multiples dimensions, graphiques et sémantiques. En chinois, un mot, une phrase peut avoir de multiples sens simultanés. Alors qu’en français, mais aussi en japonais, une traduction en exclurait une autre, le chinois peut laisser ouvert un réseau de significations. On le verra, certaines phrases des Règles font l’objet de plusieurs lectures traditionnelles japonaises, les commentaires divergeant selon la lecture choisie. Et même si la tradition du zen sōtō a fixé une lecture du texte, les choix restent cependant quelque peu arbitraires.

Le discours ne connaît pas de niveaux en chinois. Il n’y a pas un sens caché sous un sens apparent. Dans ce genre de texte littéraire volontairement maniéré, le lecteur ne se contente pas de lire, il contemple aussi. Les caractères, par leur place, leur graphisme, leur agencement, ouvrent des visions par delà la simple lecture linéaire des phrases. Un texte chinois se laisse aussi lire comme une composition picturale, où l’on peut revenir en arrière, jouer des associations, des correspondances, en déplaçant le regard d’une phrase à l’autre.

fu a le sens en chinois de «vaste, universel» (la clé du caractère est celle du soleil 日). 勸 kan signifie «conseil, exhortation, encouragement» en tant que substantif et «faire de grands efforts» en tant que verbe (la clé du caractère 力 signifie l’effort ou la puissance). Graphiquement, le caractère fu 普 est composé de deux éléments superposés haut/bas. Le caractère kan 勸 est, lui, composé de deux éléments alignés gauche/droite.  Za 坐 signifie «s’asseoir» (le caractère représente deux hommes assis à genoux face à face, clé de la terre 土). Zen 禪 est l’abréviation de 禪那 zenna, une translittération du sanskrit dhyāna ; le caractère 禪 désignait primitivement l’offrande faite au ciel et à la terre et prit par la suite le sens de «offrir, céder, transmettre» (la clé 示 signifie «enseigner»). Za 坐 est un caractère dit simple (même si les deux éléments les hommes et la terre se superposent) alors que zen 禪 est un caractère composé de deux éléments.

Dans le titre, les formes graphiques, les signifiés suggèrent une articulation et de subtils jeux de correspondance qui en disent un peu plus que la seule transcription en caractères romains, fu / kan / za / zen / gi. Fu 普 et kan 勸, za 坐 et zen 禪, se repoussent deux à deux. Fu 普 et za 坐, kan 勸 et zen 禪, s’attirent deux à deux. Ils laissent déjà entrevoir une tension, celle que Dōgen va nouer tout au long de ses Règles entre le laisser faire de la méditation — tout est déjà là, comme l’exprime si bien le caractère 普 qui évoque l’ouvert et le spacieux — et tout la rigueur nécessaire de la méditation (勸 qui exprime graphiquement de puissants efforts). Les caractères du titre forment une configuration particulière qui annonce le texte lui-même. Gi 儀, ces «principes» visent à unifier fu 普, «l’ouvert», kan 勸, «l’effort», za 坐, «l’assise» et zen 禪, «la méditation».

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