Parfois, lorsqu’on se joint à un groupe de méditation zen, on peut être intrigué par certains gestes. Avant et après la méditation, on se salue mutuellement en joignant les mains. En certaines occasions, on se prosterne également en touchant le sol du front. Ces gestes fondamentaux du bouddhisme manifestent par le corps tout à la fois le respect, la dignité et l’unité intérieure.
Gasshō : joindre les mains
Joindre les mains a le sens d’unifier et d’harmoniser, le corps et l’esprit, soi et les autres. Plus précisément dans le bouddhisme zen, saluer signifie reconnaître la nature sacrée de toute chose, reconnaître en soi et en chacun la nature éveillée.
Ce geste essentiel appartient au fond indien. Les anciens textes bouddhiques racontent comment les disciples du Bouddha s’approchaient de lui, mettaient un genou à terre, réajustaient leur vêtement et le saluaient les mains jointes. Ce salut demeure encore aujourd’hui le geste plus ordinaire de respect et de vénération dans tout l’Orient. On dit añjali en sanskrit, gasshō en japonais. Les mains sont simplement jointes à la hauteur de la poitrine. Les formes varient selon les écoles. Dans l’école japonaise sōtō, le salut est assez formel : on recommande de joindre les mains, paume contre paume, les doigts serrés, le bout des doigts à hauteur du nez. Puis on s’incline, le buste parallèle aux avant-bras. L’ancienneté des bonzes se reconnaît à leur façon de joindre les mains, les novices doivent garder les avant-bras horizontaux, alors que pour les anciens, les avant-bras peuvent être inclinés à quarante-cinq degrés, dans une posture moins stricte.
Hai : se prosterner
Les prosternations ont une autre portée. Ils signent un abandon intérieur. La prosternation se fait en trois temps : d’abord on joint les mains, puis on se met à genoux, on pose enfin le front à terre. Une fois étendu, les genoux, les coudes et le front doivent être en contact avec le sol. Toutes les écoles bouddhistes ont en commun cette procédure même si les formes peuvent encore varier. Dans le bouddhisme tibétain, les prosternations sont pour le moins spectaculaires, le pratiquant se jette littéralement à terre et les précautionneux utilisent des protections. Dans le zen, le geste est plus doux, plus intériorisé. Les prosternations se font habituellement par séries de trois (on dit sampai, « trois prosternations ») ou de neuf (kyūhai, « neuf prosternations »).
Après zazen, nous nous prosternons neuf fois contre le sol. En nous prosternant, nous nous abandonnons. Nous abandonner signifie abandonner nos idées dualistes. Il n’y a donc pas de différence entre faire zazen et se prosterner. D’habitude, se prosterner signifie présenter ses respects à ce qui est plus digne de respect que soi-même. Mais quand vous vous prosternez devant Bouddha, vous ne devriez avoir aucune idée de Bouddha, vous devenez simplement un avec le Bouddha, vous êtes déjà Bouddha même. Quand vous devenez un avec Bouddha, un avec tout ce qui existe, vous trouvez la vraie signification de votre être. Quand vous oubliez toutes vos idées dualistes, tout devient votre maître, et tout peut-être l’objet d’adoration. (Shunryū Suzuki, Esprit Zen, Esprit neuf, Paris, Éditions du Seuil, Collection Points Sagesses, 1977, p. 59)
Dans ce texte, Suzuki Shunryū (1904-1971), le fondateur du Zen Center of San Francisco, exprime en quelques mots toute la profondeur de se prosterner, le lâcher-prise, ou pour parler zen « l’abandon du corps et de l’esprit » (jap. shinjin datsuraku).
Dans les temps anciens du zen, le maître chinois Houangbo, en japonais Ōbaku, était célèbre pour avoir une callosité sur le front à force de se prosterner. Une fois, Linji, son plus célèbre disciple, l’interrogea : « Pourquoi vous prosternez-vous puisque vous dites toujours qu’il n’y a rien à attendre ? » Et Houangbo de répondre : « Je n’attends rien en me prosternant. » À l’époque moderne, Kishizawa Ian (1865-1955), un célèbre maître zen de l’école sōtō, avait cette même callosité sur le front. Shunryū fut l’un de ses disciples. Dans Esprit zen, esprit neuf, il disait encore :
À force de se prosterner, mon maître avait une callosité au front. Il se savait têtu et obstiné, aussi il se prosternait, se prosternait, se prosternait. Il se prosternait parce qu’il entendait toujours en lui-même la voix de son maître le gronder. Il était entré dans l’ordre sōtō à trente ans, ce qui est assez tard pour un prêtre japonais. Quand nous sommes jeunes, nous sommes moins têtus, et il nous est plus facile de nous défaire de notre égoïsme. Aussi son maître l’appelait-il toujours « Toi-qui-es-venu-tard », et il le grondait d’être venu si tard. En fait, son maître aimait en lui ce caractère obstiné. Lorsque mon maître avait soixante-dix ans, il disait : « Quand j’étais jeune, j’étais comme un tigre, maintenant je suis comme un chat! » Il était très content d’être comme un chat. (Esprit zen, esprit neuf, ibid., p. 61).
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