La lettre du Refuge (juin 2023)

Chers amis,

J’espère que vous allez bien. Le printemps est bien installé, et déjà on ressent les premières chaleurs, les hirondelles et les huppes fasciées, ces oiseaux au plumage multicolore, sont de retour depuis quelques semaines déjà. Et c’est un vrai bonheur, le Refuge regorge de vie ; une chouette effraie niche dans le grenier du moulin ; chaque fin d’après-midi, un hérisson vient prendre une collation devant la maison ; en puisant de l’eau dans un fossé peu profond derrière la maison, je trouve même un goujon. Deux agneaux sont nés, l’un le 28 mars, l’autre le 8 avril, jour auspicieux, puisqu’on célèbre ce jour-là la naissance du Bouddha.

Au détour d’un document administratif, je découvre que le Refuge se trouve dans une ZNIEFF de type 1. Bigre, kézaco, me diriez-vous, et c’est ce que je me suis dit aussi. Le terme, pour le moins étrange, est l’acronyme de Zones Naturelles d’Intérêt Écologique, Faunistique et Floristique (sic) ; il désigne des espaces naturels spécifiquement inventoriés en raison de leur caractère remarquable. Les zones de type 1, de superficie réduite, sont des zones dites de grand intérêt biologique ou écologique, «Elles recensent des espaces homogènes d’un point de vue écologique et qui abritent au moins une espèce et/ou un habitat rares menacés.» La France compte actuellement 1692 ZNIEFF de type 1. (Source : Ministère de l’Environnement). En bref, ici, il n’y a d’autre choix que de protéger la vie.

Les travaux

Ils avancent à grands pas. Toute la partie ouest du bâtiment principal sera intégralement aménagée cette année. À l’extérieur, nous avons fini d’achever l’aire réservée à la pédoépuration.

On connaît la phytoépuration, l’épuration par les plantes, moins la pédoépuration, l’épuration par le sol. L’année dernière, nous avions choisi ce système d’épuration des eaux usées (cuisine et salle de bain) car il est le plus simple, le plus écologique et le moins onéreux. Que de bons atouts, donc. Dans ce système, les eaux se déversent dans des tranchées remplies de broyat de bois et c’est tout! Après les petites bêtes qui vivent dans le sol prennent le relais. Bon, il y a quelques subtilités supplémentaires, mais l’essentiel est là. Les tranchées ont été faites au mois de juin dernier. Nous avons été accompagnés dans notre réflexion par l’association Pierre et Terre qui propose une mise en place adaptée à la spécificité des terrains. Une fois le système mis en place, ils conseillent de planter entre les tranchées des petits arbres fruitiers type framboisier, et ce que nous venons de faire ce printemps. Les moutons étant en complète liberté dans la propriété, il fallait encore clôturer l’aire afin que les garnements ne dévorent les arbrisseaux. Tout est terminé maintenant.

Le sol est, ou plutôt était, humide et de médiocre qualité à cet endroit juste derrière la maison, et honnêtement j’étais un peu dubitatif malgré l’assurance de Perrine, la responsable technique de Pierre et Terre : la transformation/bonification du sol serait simplement plus longue, un an ou deux, me disait-elle. Le système en effet ne traite pas simplement les eaux usées, il améliore le sol. Mais après dix mois d’utilisation, un changement est déjà visible. Le broyat de bois est bien colonisé par les champignons et la vie du sol s’active. En construisant la clôture, je découvre des vers de terre qui n’étaient pas là en juin dernier. L’association Pierre et Terre espérait une reconnaissance publique de la pédoépuration pour 2023. Hélas, les sénateurs en ont décidé autrement en reportant de cinq ans l’examen de ce système.

Un regard sur le Refuge

L’été 2021, Alina et Raimund, deux pratiquants de longue date du zen étaient venus passer quelques jours au Refuge. Raimund est l’auteur d’un merveilleux ouvrage paru l’année dernière Sol vivant, parole vivante. Vision d’un permaculteur zen. Tous deux débutaient alors un long périple à la découverte de lieux et de communautés alliant spiritualité et écologie. Ils ont, en effet, avec d’autres, un projet d’écolieu (Zen sur Terre). Ils visitaient ces lieux pour comprendre leurs choix, leurs modes de fonctionnement, entendre leurs joies, mais aussi leurs difficultés. Après deux ans de tour de France, ils avaient entre leurs mains un riche carnet de notes et un répertoire assez exhaustif de tous ces lieux. Voici ce qu’ils écrivaient dans leur journal de bord à propos du Refuge :

Représentant du bouddhisme engagé, Eric a écrit plusieurs livres, dont un à ce sujet. Depuis trois ans il a acheté [une] ferme qu’il rénove presque tout seul dans les règles de l’art. Il était écrivain et a tout arrêté pour se former dans l’écoconstruction et le maraîchage, dont il ne connaissait rien auparavant. Sa pratique est très fidèle à l’esprit japonais, avec un accent mis sur la cuisine et le service, mais une certaine liberté et simplicité formelle (par ex. soutras en français, pas d’habits cérémoniels). Démarche poussée : pas d’achat de légumes, pas de frigo, pas de voiture. Approvisionnement en riz pour dix ans, bonne réserve de conserves autoproduites. Horaires de temple zen, les journées sont longues. Pratique exigeante mais authentique. Esprit convivial, mais pour l’instant pas de disciples sur place. Beaucoup de volonté et d’énergie, malgré la fatigue et la santé fragile. Fuse (don) demandé. Rencontre enrichissante, séjour recommandé à celles.eux qui s’intéressent au bouddhisme engagé. (Reproduit avec leur aimable autorisation.)

J’espère qu’ils ne m’en tiendront pas rigueur, j’ai souri en lisant «pas de frigo» et «les journées sont longues», mais la note reflète assez fidèlement ce que nous faisons au Refuge. Il y a quelques années, peut-être quinze ans, j’avais comme beaucoup un réfrigérateur ; un jour je l’ai ouvert pour constater qu’il n’y avait strictement rien dedans alors que rien ne me manquait. Comme je ne mange ni viande ni produit d’origine animale, je n’avais rien à conserver au frais. Je le laissais machinalement allumé et cela ne servait à rien ; je l’ai donc débranché. Au Refuge, nous avons une alimentation fondée sur le premier précepte bouddhiste, «ne pas tuer et protéger la vie». Pas de plats ultra-transformés, pas de viande, pas de produits d’origine animale et donc pas de frigo en effet!

Les journées sont longues. Je me suis dit : Et oui, elles font vingt-quatre heures! Au Refuge, nous expérimentons un quotidien simple et ordinaire, en suivant l’emploi du temps d’un temple zen. Qu’est-ce qui définit un moine bouddhiste ? Traditionnellement, les anciens livres indiens de l’époque du Bouddha (les vinaya ou codes de discipline) le définissent par une autre façon de se nourrir (il se contente d’aumônes), une autre façon de se vêtir (il se contente d’une robe faite de rebuts), une autre façon d’habiter l’espace (il se contente de l’abri d’un arbre) et une autre façon de se soigner (il se contente d’urine fermentée de vache, et oui!). Ces activités qui répondent aux besoins vitaux les plus essentiels des êtres vivants deviennent des pratiques de simplicité et de dépouillement. La tradition zen poursuit cette approche, tous les actes de la vie quotidienne sont réorientés et vécus comme autant d’exercices d’éveil. Les moines récitent des stances, particulièrement dans les moments les plus personnels et les plus triviaux : lorsqu’ils mangent, lorsqu’ils se rasent, lorsqu’ils prennent un bain, lorsqu’ils vont aux toilettes, etc. La teneur est toujours la même : ils le font pour le bien de tous les êtres.

Au Refuge, nous n’avons que quatre pratiques fondamentales : dormir, méditer, manger et travailler et cela nous occupe bien vingt-quatre heures. Dans un livret intitulé Bendōhō, que l’on peut traduire par La Règle pour négocier la voie ou plus librement La Règle pour pratiquer l’éveil, Dōgen décrit au XIIIe siècle le déroulement de la journée des moines. Il commence par le temps du sommeil. S’endormir, dormir, se réveiller deviennent à leur tour des pratiques de Bouddha. Le zen au fond est assez simple : Retourner à l’ordinaire et vivre l’ordinaire comme l’ordinaire d’un Bouddha. La découverte peut être déconcertante voire déstabilisante : cette proposition est en effet radicalement différente du modèle social (je veux dire capitaliste) actuel qui régit et modèle nos corps séparant le temps du travail et le temps personnel.

L’inauguration

Nous préparons l’inauguration officielle du Refuge qui aura lieu le dimanche 20 août prochain. À cette occasion, nous ouvrirons pour la première fois la chapelle.

  • La journée s’organise actuellement comme suit :
  • 10 h 30 : assemblée générale de l’Association
  • 15 h : inauguration de la salle de méditation et de la chapelle
  • 16 h : prise de refuge (pour celles et ceux qui le souhaitent)

Pour celles et ceux qui souhaitent venir, un train arrive à Aubigné-Racan depuis le Mans le dimanche à 13 h 11. Un autre train repartira le soir pour le Mans à 18 h 05.

À l’occasion de l’inauguration, je proposerai aux personnes qui le souhaitent de prendre refuge. Il s’agit d’un court rituel où l’on témoigne publiquement de sa confiance dans le Bouddha (l’Éveillé), dans le dharma (ses enseignements) et dans le sangha (la communauté des personnes engagées sur la voie). Nous suivons le rituel de Jiun sonja, le maître bouddhiste.

L’assemblée générale de l’association aura lieu le matin. Et si vous ne l’avez pas encore fait, vous pouvez renouveler votre adhésion ou rejoindre l’association pour l’année 2023. La page dédiée pour l’adhésion 2023 sur la plate-forme HelloAsso est ici.

Je reste à votre disposition pour toute question.

Les mains jointes,

Jiun (Éric Rommeluère)