Un article de David Loy, initialement paru en anglais dans le magazine Tricycle sous le titre « How a Growing Buddhist Movement Is Responding to the Ecological Crisis ». David est le cofondateur du Rocky Mountain Ecodharma Retreat Center, un centre près de Boulder dans le Colorado, qui offre une multitude de lieux propices à la méditation et à l’appréciation de la nature sur plus de 70 hectares de prairies, de rivières et de forêts.
Le terme d’écodharma est relativement nouveau et son sens est loin d’être fixé. Il associe les enseignements du bouddhisme et des traditions spirituelles apparentées (le dharma) avec les questions écologiques. Plus précisément, l’écodharma peut être compris comme un nouveau développement au sein du bouddhisme contemporain qui répond à la crise écologique qui menace notre civilisation.
Cela reste évidemment très général. J’aimerais ajouter quelques mots sur la façon dont je comprends la notion d’écodharma et sur les raisons pour lesquelles sa pratique devient de plus en plus importante.
Trois composants de l’écodharma retiennent plus particulièrement mon attention : la pratique dans la nature ; la compréhension des implications écologiques du bouddhisme ; l’utilisation, enfin, de cette compréhension pour s’engager dans l’écoactivisme dont dépend la survie des espèces.
Après avoir quitté son foyer, le futur Bouddha vécut dans la forêt, médita dans la nature et s’éveilla au pied d’un arbre. Lorsque Mara (le diable bouddhiste) mis en doute son éveil, il toucha la Terre pour la prendre à témoin de sa réalisation. Par la suite, le Bouddha vécut et enseigna presque uniquement dans la nature, et c’est aussi sous des arbres qu’il mourut.
Aujourd’hui, vivant et pratiquant entre quatre murs, nous avons en grande partie perdu notre relation à la nature. Il y a pourtant quelque chose de spécial et de précieux à méditer en extérieur et à redécouvrir notre connexion profonde avec le monde naturel. Lorsque nous pratiquons ainsi, il devient manifeste que le monde n’est pas une collection d’éléments séparés mais une confluence de processus naturels dont nous faisons partie.
« Nous sommes ici pour dépasser l’illusion de notre séparation » disait le maître zen et poète vietnamien Thich Nhat Hanh. Les enseignements traditionnels bouddhistes nous aident à nous éveiller individuellement et à réaliser que nous ne sommes pas séparés des autres et du reste du monde. Et s’il est vrai que la crise écologique se présente comme un nouveau défi, nombre des enseignements classiques restent pertinents dans la situation actuelle. Il semble y avoir d’importants parallèles entre, par exemple, la gêne que nous éprouvons généralement en tant qu’individus – notre sentiment d’être séparés des autres – et notre sentiment collectif d’être séparé du monde naturel aujourd’hui. Notre situation écologique serait-elle une version élargie du même problème ? Dans les deux cas, la séparation entre un moi à l’« intérieur » et un monde à l’« extérieur » est inconfortable : un soi qui n’a pas de véritable existence ne pourra jamais être en sécurité. Mais nous nous obstinons à essayer de le sécuriser, souvent par des moyens qui ne font qu’empirer les choses. Il n’est pas nécessaire de « retourner à la nature », mais il nous faut réaliser que nous n’avons jamais cessé d’en faire partie et comprendre ce que cela implique pour notre mode de vie. Dôgen, le fondateur de l’école zen sôtô au XIIIe siècle, décrit sa propre expérience de l’éveil comme la claire réalisation que « l’esprit n’est rien d’autre que les rivières, les montagnes et la vaste Terre, le soleil, la lune et les étoiles. »
Aujourd’hui nous sommes appelés à vivre en bodhisattvas (des « écosattvas ») qui ont compris que l’activisme pour la protection de la Terre est une part essentielle du chemin spirituel. Notre civilisation, devenue mondiale, a institutionnalisé l’avidité et l’exploitation du monde naturel. Elle a renvoyé à demain – dans un futur qui est déjà là – les coûts environnementaux de la consommation effrénée et de l’utilisation des énergies fossiles. Nous devons nous organiser et œuvrer ensemble pour promouvoir ce que Joanna Macy et d’autres appellent « le grand tournant », une nouvelle approche qui met l’accent sur une civilisation respectueuse de la vie dans le sillage de la destruction industrielle, économique et politique.
Il se peut qu’à certains moments, les pratiquants privilégient l’un ou l’autre des composants de l’écodharma, mais les trois sont importants. Nous pouvons alors élaborer des projets et nous interroger ensemble : que signifie être un bodhisattva aujourd’hui ? Comment pouvons-nous contribuer à la guérison de la Terre, ce qui signifie aussi rétablir une relation collective saine avec la Terre ?
David Loy
David Loy est un enseignant de la tradition zen Sanbō Kyōdan. Il s’initie au zen en 1971 à Hawaii sous la direction du maître zen Yamada Koun et de Robert Aitken. En 1984, il s’installe à Kamakura au Japon afin de continuer la pratique du zen sous la direction de Yamada. En 1988, il est reconnu comme enseignant zen et reçoit le nom de Tetsu’un. Il a enseigné à l’Université Bunkyō de Chigasaki au Japon jusqu’en 2006, année où il reprit la chaire Éthique, Religion et Société à l’université Xavier de Cincinnati (Ohio, États-Unis). Il vit actuellement à Boulder dans le Colorado. Ses travaux et ses engagements portent sur le dialogue entre le bouddhisme et la modernité, plus particulièrement sur les implications sociales des enseignements bouddhistes. Site internet : davidloy.org.
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